Bruxelles, le 10 septembre 2002
Je tiens à saluer cette initiative majeure d'une grande organisation de recherche européenne, qui prend à bras le corps les enjeux européens. Je suis convaincu que les travaux et échanges de cette journée ont été fructueux. Je suis, quant à moi, extrêmement heureux de votre volonté de vous inscrire dans le projet d'espace européen de la recherche.
En clôture de cette journée, je voudrais vous faire part des perspectives de l'Espace Européen de Recherche et mettre l'accent sur les chantiers nouveaux. Par là, j'espère pouvoir vous montrer comment chercheurs et politiques peuvent s'engager ensemble dans un processus qui bénéficie à la fois à la construction d'une Union européenne plus étroite et à celle d'un système de recherche plus efficient.
Bilan et perspectives de l'EER
Depuis le Conseil européen de mars 2000, le projet d'espace européen de la recherche constitue le cadre de référence pour les questions de politique de recherche en Europe.
Il combine trois aspects liés et complémentaires.
- La création d'un marché intérieur de la recherche, espace de libre circulation des connaissances, des chercheurs et des technologies, pour davantage de coopération, plus de stimulation par la compétition et une meilleure allocation des ressources;
- Une meilleure coordination des activités et des politiques nationales de recherche, qui représentent 80% de la recherche menée et financée en Europe
- Le développement d'une politique européenne de la recherche qui ne se réduit pas au financement, mais qui embrasse tous les aspects nécessaires pour que la science et la technologie jouent leur rôle dans l'économie et la société de la connaissance.
Le programme-cadre de recherche
Tout d'abord, un nouveau programme-cadre communautaire de recherche a été adopté, spécifiquement conçu et dessiné pour aider à réaliser l'Espace européen de la recherche. Il est doté de nouveaux instruments de soutien financier, renforce l'action dans certains domaines comme la mobilité des chercheurs, et prévoit un schéma de soutien à des initiatives de coordination des activités nationales ou régionales.
Dotés de 17.5 milliards d'euros sur la période 2003-2006, il est en grande partie concentré sur des domaines d'action où une coopération européenne peut faire la différence: la génomique et la biotechnologie, les technologies de l'information, les nanotechnologies, l'énergie et les technologies propres, le programme Euratom, etc... J'ai noté avec plaisir les similitudes entre ces priorités et les thèmes qui ont été aujourd'hui à l'ordre du jour de votre journée.
Ce programme-cadre ainsi que ses règles de participation sont déjà formellement adoptés par le Conseil et le Parlement européen. Et j'ai bon espoir que la dernière pièce du puzzle, les programmes spécifiques, pourront aussi être adoptés d'ici la fin du mois de septembre.
C'est, bien sûr, une bonne nouvelle pour la communauté scientifique, qui va pouvoir préparer des propositions de recherche dans de bonnes conditions.
Le travail en ce sens a d'ailleurs déjà commencé. Au mois de mars, la Commission avait lancé des "appels à manifestation d'intérêt" dans les différents domaines thématiques prioritaires
Ils ont donné lieu à une réponse massive, quelque 14.000 idées de réseaux et de projets, qui ont été étudiées. Elles aideront à définir les programmes de travail sur la base desquels les premiers appels à proposition seront lancés durant l'automne.
Pour faciliter davantage encore ce démarrage, une grande conférence d'information aura lieu à Bruxelles du 11 au 13 novembre, en présence de milliers de chercheurs et de responsables de recherche.
Dans l'ensemble, tous les éléments semblent sont donc réunis pour un démarrage du Sixième Programme-Cadre dans les meilleures conditions.
Renforcement de la connectivité de l'espace européen de recherche
Au-delà du programme-cadre, l'Espace européen de recherche a donné lieu à des actions concrètes sur plusieurs plans
La méthode dite de « coordination ouverte », une méthode légère d'examen comparatif des politiques nationales de la recherche a commencé à être mise en oeuvre. Elle permet d'évaluer les performances comparatives des initiatives des Etats membres, d'identifier les bonnes pratiques, et d'en tirer des conclusions en commun.
En liaison le plus souvent avec les actions et programmes de l'Union, des enceintes et structures de contact entre acteurs privés et publics et de la recherche ont été mis en place avec la vocation d'améliorer la coordination des activités et des politiques nationales.
L'exemple de l'Initiative réussie prise en matière de recherche sur les TSE (Transmissible Spongiform Encephalopathies) montre l'impact que peuvent avoir des actions ciblées de coordination des activités nationales.
D'autre part, à l'initiative de la Commission, les Etats membres ont constitué un Forum des infrastructures de recherche, qui permettra, indépendamment des moyens et de la finalité du programme-cadre, de veiller à la convergence nécessaire pour favoriser l'émergence d'accords multilatéraux ou européens pour la construction de nouvelles infrastructures de recherche en Europe.
Le développement conjoint par l'Union européenne et l'ESA d'une stratégie spatiale européenne est également à mettre à l'actif de l'Espace européen de recherche. . Deux exemples concrets de cette stratégie sont les projets GALILEO, dans le domaine de la navigation par satellites, et GMES, en matière de surveillance de l'environnement et de sécurité.
Indépendamment des actions de l'Union européenne, des initiatives définies dans l'espace européen de recherche sont spontanément lancées ou mises à l'étude par la communauté scientifique ou l'industrie. Ainsi, par exemple, la constitution d'Eiroforum, qui associe les Organisations Internationales Européennes de la recherche telles que le CERN, l'ESA, l'ESO et EMBL.
30 mois après son démarrage, c'est l'intention de la Commission de faire le point et de décrire les nouvelles perspectives de l'espace européen de la recherche dans une Communication qui sera présentée au Parlement européen et au Conseil à l'automne.
Au bout du compte, le succès dépend largement de l'engagement et de la mobilisation des acteurs de la recherche en Europe, à commencer par les meilleurs et les plus puissants. C'est pourquoi, j'apprécie l'initiative du CEA et je compte largement sur vous pour aider à faire de l'Espace Européen de la Recherche une réalité.
Au delà du qualitatif: enclencher le cercle vertueux de l'investissement dans la recherche
Le sous-investissement dans la R&D au sein de l'UE n'est un secret pour personne: l'Europe souffre avant tout du niveau comparativement faible de ses efforts de recherche. Depuis plusieurs années, ses investissements stagnent en effet à 1,9% du PIB de l'Union, alors que ceux de ses concurrents ne cessent d'augmenter: 2,6% pour les Etats-Unis, 2,9% pour le Japon. Cette faiblesse est largement due au secteur privé: en Europe, les investissements des entreprises dans la recherche représentent 1,1% du PIB de l'Union, contre 1,8% aux Etats-Unis et 2,1% au Japon.
C'est pour cette raison que les Chefs d'Etat et de Gouvernement sont convenus, sur base d'une proposition de la Commission lors du Conseil européen de Barcelone, d'engager l'Europe à porter l'effort de recherche à 3% du PIB de l'Union d'ici à 2010.
L'essentiel de l'effort supplémentaire devrait venir du secteur privé, qui est invité à augmenter le niveau actuel de ses investissements de R&D (de 56% aujourd'hui à deux tiers).
Pour y parvenir, il faut comprendre qui investit en RD en Europe et pourquoi. A secteur industriel identique, les entreprises nationales et les PMEs investissent généralement moins que dans d'autres régions du monde. Les multinationales font de moins en moins le choix de localiser leur recherche en Europe.
Pour qu'une entreprise investisse, il faut qu'elle soit convaincue que la stratégie de recherche et d'innovation est la réponse payante pour développer sa croissance et ses avantages compétitifs. Il faut donc que la recherche en entreprises soit profitable pour enclencher un cercle vertueux d'investissement dans la connaissance.
Les pouvoirs publics européens et nationaux ont clairement un rôle à jouer. Il s'agit tout d'abord d'améliorer les conditions-cadre de l'investissement: ressources humaines et marchés des capitaux, esprit d'entrepreneuriat, environnement concurrentiel, réglementation favorable à l'innovation, etc..
Les pouvoirs publics ont aussi à mobiliser de manière concertée les instruments financiers dont ils disposent: instruments fiscaux, systèmes de prêts et de garantie, utilisation judicieuse des mécanismes de stimulation du capital risque et de soutien direct à effet de levier, etc.
Demain, je proposerai à la Commission d'adopter une communication qui pose les termes d'un débat élargi à ce sujet. Débordant du cadre traditionnel de la recherche, elle se rapproche de la gouvernance économique. Cette communication donnera lieu dans les prochains mois à une double consultation, au niveau des institutions européennes, mais aussi au niveau des milieux conCERNés (UNICE, ERT, organismes de recherche)
Dans ce dossier, la poursuite de la sensibilisation politique est importante. Il ne faut pas sous-estimer les pressions à la réduction des moyens affectés à la recherche dans le cadre de ralentissement économique actuel. Il y a un risque réel, que faute d'une stratégie appropriée, l'Europe ne se condamne à une position de second. Ne sacrifions pas la perspective d'avenir.
L'investissement en R&D ne doit pas être évalué uniquement en termes de dépense mais bel et bien d'investissement pour les générations à venir. Il conditionne le progrès scientifique et technique qui est crucial pour une croissance durable et un emploi de qualité dans l'économie moderne fondée sur la connaissance.
La recherche: élément de la politique industrielle
Une nouvelle impulsion à la politique industrielle s'impose si nous voulons répondre aux défis de Lisbonne et Barcelone. La recherche a un rôle important à jouer. J'ai été très sensible à l'initiative du CEA conCERNant Minatec qui constitue un exemple intéressant de l'ingénierie du développement économique par la RD.
La Commission a proposé la création de plates-formes technologiques mobilisant toutes les parties prenantes conCERNées sur des technologies spécifiques auxquelles sont associés des enjeux économiques ou de société majeurs.
Ces « marchés » de la coopération procèdent à un examen approfondi et global des problèmes et des opportunités en matière de R&D et de compétitivité industrielle, développent une vision à long terme, et proposent un plan d'action cohérent à mettre en oeuvre au niveau des pouvoirs publics (européens et nationaux) et de l'industrie.
Un facteur important du succès de ces initiatives est l'effort de cohérence, effectué en amont lors du processus d'émergence de nouvelles technologies entre, d'une part la R&D qui crée de nouvelles opportunités, et d'autre part, en aval, le cadre réglementaire qui rend possible la commercialisation accélérée des nouvelles technologies.
Un premier exemple est celui de la biotechnologie et des sciences du vivant, qui comptent sans doute parmi les technologies de pointe les plus prometteuses.
L'Europe ne s'est penchée que lentement et avec difficulté sur les défis posés et les possibilités offertes par ces nouvelles technologies et ses performances restent insuffisantes.
La Commission européenne a souhaité contribuer activement à la réflexion et à l'action dans ces domaines. Au mois de janvier de cette année, elle a présenté, sous le titre "Sciences du vivant et biotechnologie: une stratégie pour l'Europe", un Plan d'action.
L'objectif de ce Plan, qui comprend 30 actions de natures très variées, est de stimuler le développement coordonné, en Europe, d'une approche globale de la biotechnologie, combinant les aspects de recherche, réglementaire, industriels sociaux, de communication, etc.
La Présidence danoise, qui lui accorde une grande importance, en a fait une de ses priorités. Au mois de novembre, le Plan d'action sera discuté au Conseil Compétitivité.
J'ai annoncé ce matin-même lors de ma visite au centre de recherche de Jülich, la création d'un Groupe à Haut Niveau conCERNant l'hydrogène et les Piles à Combustibles. Et M. Colombani me fait le plaisir de participer à ce groupe.
Le développement des piles à combustibles et l'émergence de l'hydrogène comme vecteur énergétique vont modifier sensiblement l'approvisionnement énergétique, notamment pour les transports, et améliorer la sécurité d'approvisionnement. Pour préparer l'avènement de ce nouveau vecteur énergétique, il convient de développer une stratégie globale de préparation de la transition. L'objectif est de réduire par un exercice collectif les risques élevés qui pèsent sur les recherches individuelles et de surmonter les problèmes d'équilibre de l'offre et de la demande dans ce secteur industriel nouveau.
Ces deux exemples montrent que la politique industrielle doit prendre en compte la quantité et la qualité des connaissances qui nourrissent la croissance et la compétitivité. Sans prendre en compte les chercheurs et les investissements publics et privés dans la recherche, la politique industrielle tournerait à vide, ignorant les connaissances qui en constituent le moteur.
Mettre la science au services des citoyens
Dans une société basée sur la connaissance, une gouvernance démocratique et informée doit assurer aux citoyens les moyens de participer, en toute connaissance de cause, aux progrès scientifiques et techniques et à l'exercice des choix responsables qui en résultent.
Je me réjouis de rencontrer tout à l'heure, à l'invitation du CEA, le Professeur Charpak, dont l'action pour rapprocher la science et le public et créer entre eux un véritable dialogue informé est admirable.
L'Espace Européen de la Recherche (EER), se conçoit comme un espace de valeurs partagées, dans lequel l'accès aux connaissances et le dialogue entre ceux qui produisent les connaissances (les chercheurs), ceux qui en partagent les bénéfices et les conséquences (la société) et ceux qui ont la responsabilité d'en gérer les flux et la valorisation (la puissance publique et privée), sont fondamentaux.
Le Sommet de Johannesburg, engage les Etats à utiliser les technologies en faveur du développement et à assurer que le développement des ressources humaines, l'éducation, la formation, ainsi que le transfert de technologie soient utilisés à bon escient pour bannir le sous-développement. Ce sommet a montré que l'énergie, tout comme l'eau et la santé, sont des facteurs essentiels de développement.
Pour réussir un tel développement, il est indispensable de développer une véritable citoyenneté informée.
Ceci m'amène à parler de l'énergie nucléaire, au développement de laquelle le CEA a accordé une contribution inestimable.
Le nucléaire fournit 35% de l'électricité en Europe et sa contribution aux objectifs de Kyoto est publiquement reconnue. Nous devons faire en sorte que l'énergie nucléaire reste une option énergétique valable. C'est l'objectif poursuivi par le programme Euratom avec ses trois priorités: la fusion, la gestion des déchets radioactifs et la radioprotection.
Le CEA a toujours mené une action déterminante dans le domaine de la fusion. La proposition que Cadarache devienne un site européen candidat pour le projet international ITER a eu un effet dynamisant sur l'évolution du projet et sur la négociation internationale en cours. Pour ma part, je suis convaincu que l'Union européenne doit garder un leadership fort sur ce projet.
La gestion des déchets nucléaires est un des principaux problèmes qui s'oppose au maintien et au développement de l'énergie nucléaire. Selon un récent sondage d'Eurobaromètre, une maîtrise complète de la gestion et du traitement des déchets, en particulier de ses composants à vie longue inciterait 65% des européens à considérer que le nucléaire reste valable.
Malgré les progrès réalisés, les recherches doivent continuer sur le stockage géologique et la sécurité. Les actions du prochain programme-cadre devront contribuer à l'optimisation des méthodes et à l'établissement de standards de base européens communs.
Permettez moi d'insister à nouveau sur l'importance du rôle qu'une organisations comme le CEA peut et doit jouer dans la mise en oeuvre de l' « Espace européen de la Recherche ».
La multidisciplinarité croissante de la connaissance, l'interrelation entre recherche et innovation, la mondialisation de la concurrence font de la recherche un véritable enjeu européen.
Depuis ses origines, le CEA est un grand acteur de la recherche. De longue date, il est un acteur actif des programmes européens et coordonateur de nombreux projets et réseaux de coopérations.
Je lui adresse toutes mes félicitations pour les efforts qu'il a déjà accomplis.
Mais je suis convaincu que nous pouvons gagner beaucoup en amplifiant cette coopération, et en la portant toujours davantage sur les plans stratégique et politique.
DN: SPEECH/02/374 Date: 10/09/2002