Brussels, 19 Mar 2003
Permettez-moi tout d'abord de dire quelques mots sur la Politique de Sécurité et de Défense en général.
Hier, le Conseil de l'Union européenne a pris la décision de lancer la première opération militaire conduite par l'Union européenne, en reprenant le 31 mars prochain l'opération de l'OTAN dans l'ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM).
Il s'agit d'une étape fondamentale dans l'histoire de la construction européenne. Nous avons dit depuis longtemps que celle-ci ne serait pas complète sans une politique étrangère et de sécurité crédible.
C'est aussi un succès considérable. La politique européenne de sécurité et de défense (PESD) a connu ses premières formulations de principe en juin 1999, au Conseil Européen de Cologne. Il s'est donc écoulé moins de quatre ans entre ce point de départ et la première opération de gestion des crises (la mission de police en Bosnie), qui sera suivie ce mois-ci par la première opération militaire de l'Union européenne. Quelle autre politique européenne peut se targuer de progrès aussi rapides ?
D'autre part, conformément aux principes fondateurs de la PESD, l'Union a conclu un accord avec l'OTAN pour la coopération dans la gestion des crises, dans la perspective d'un partenariat stratégique. Entre les deux organisations, il existe une complémentarité naturelle. Cet accord donne à l'UE l'accès aux moyens et capacités de l'OTAN. Il permet d'éviter les duplications inutiles d'instruments militaires coûteux, dans lesquels les Européens eux-mêmes ont largement investi. En matière de capacités, l'élaboration concrète des objectifs fixés à Helsinki en 1999 pour les capacités militaires et à Feira en 2000 pour les capacités civiles a, elle aussi, fait des pas en avant considérable.
Le Plan d'Action Européen sur les Capacités (PAEC) doit permettre de combler les lacunes des capacités militaires européennes. Celles-ci ont été clairement identifiées et le travail des différents panels du PAEC a permis de faire des propositions concrètes pour y apporter des solutions à court et à long terme.
Tout ceci me paraît fournir la preuve de la détermination des pays membres de donner à l'Union européenne les moyens de prendre une part accrue de responsabilités dans les tâches de sécurité que nous impose le nouvel environnement stratégique. Face à la multiplicité des défis, la PESD est plus indispensable que jamais.
C'est pour cette raison que les efforts en matière d'amélioration des capacités militaires européennes doivent être poursuivis et intensifiés.
Le temps des déclarations d'intention est passé. Des décisions concrètes doivent être prises et suivies d'action sans délai. L'absence de croissance, voire la réduction des budgets de défense mènent à un déclin des capacités. La rareté des ressources impose également la révision de certaines priorités dans les plans nationaux de défense. Les solutions multinationales et le pooling des moyens doivent faire l'objet de davantage d'initiatives concrètes. Au moment où la Convention sur l'avenir de l'Europe appelle à l'adoption de clauses de solidarité entre pays européens, il est indispensable de démontrer cette solidarité dans les faits. Tous les états membres doivent produire leur juste part des efforts de défense. Sinon, nous courons le risque de créer un partage inégal du fardeau entre pays européens.
J'en viens à la contribution spécifique de l'espace dans ce contexte.
L'effort capacitaire de la PESD s'inscrit dans la perspective d'une approche globale de la gestion des crises, au service d'objectifs communs de politique étrangère, mettant à profit tous les instruments dont l'Union peut se prévaloir, la diplomatie, l'économie et la finance, l'aide au développement et à la reconstruction ainsi que tous les moyens civils de gestion des crises.
Une gestion efficace des crises dans cette optique repose à mon sens sur quatre principes directeurs: identifier à temps les intérêts communs, agir ensemble, agir vite, agir de manière coordonnée sur l'ensemble des composantes d'une crise potentielle ou actuelle. La PESD entend résoudre trois niveaux de complexité: mener efficacement des opérations militaires dans le cadre de coalitions, combiner la planification et l'utilisation des instruments militaires et civils et enfin, utiliser tous ces instruments dans le cadre d'une politique de prévention des conflits. De par sa nature même, l'Union européenne est appelée à un rôle de pionnier dans une nouvelle approche de la solution des crises. Agir vers l'extérieur ce n'est pas seulement s'affirmer comme puissance, c'est aussi projeter son modèle, fondé sur la coopération. Notre ambition ce n'est pas de faire la guerre, mais de faire la paix. L'intégration du civil et du militaire, la combinaison de la prévention, de la dissuasion et de l'intervention, des dimensions politique, commerciale, économique et humanitaire s'imposent comme une vocation naturelle pour l'Union européenne.
L'UE est idéalement outillée pour mettre en œuvre des stratégies adaptées au nouveau concept de sécurité qui a émergé de la fin de la Guerre froide, où la menace existentielle qui pesait sur la survie physique de nos sociétés a été remplacée par une menace diffuse et multiforme où se mêlent retard et inégalités de développement économique, migrations incontrôlées, dégradation de l'environnement, risques pour la santé, crises identitaires et effondrement des structures étatiques.
Tous ces phénomènes favorisent le terrorisme et la prolifération des moyens de destruction massive. Le sentiment d'insécurité est devenu plus personnel. La séparation entre sécurité intérieure et sécurité extérieure devient artificielle. La complexité des sources d'insécurité rend les réponses plus difficiles à formuler.
Concrétiser cette approche globale exige de donner la priorité à un ensemble de capacités dans des domaines précis, au bénéfice de tous les acteurs dans la gestion de crises. Citons-en quelques-uns:
Les moyens de renseignement adéquats pour assurer l'alerte rapide et l'analyse de situation.
L'intégration efficace et rapide des données concernant l'ensemble des dimensions d'une crise.
L'interopérabilité des moyens et des institutions.
Les systèmes de commandement, de contrôle et de communication modernes.
La maîtrise rapide du terrain d'opération
Les frappes de précision pour réduire les capacités de riposte de l'adversaire, en évitant les victimes civiles et en limitant les dommages aux infrastructures civiles.
La reconnaissance et la surveillance en cours d'opérations.
Dans tous ces cas, les technologies spatiales jouent un rôle indispensable. Elles apportent une clé pour l'intégration des niveaux de complexité auxquels je faisais allusion il y a quelques instants, pour une efficacité maximale dans la coordination et la séquence d'utilisation de toute la gamme des instruments de gestion des crises et de politique étrangère. Leur maîtrise est également un facteur indispensable de l'autonomie de décision et de l'égalité dans le partenariat avec d'autres acteurs internationaux. Le Centre Satellitaire de Torrejon, qui est devenu une Agence de l'UE, est une réalisation commune concrète dans ce domaine.
La défense n'est pas seulement un projet destiné à satisfaire les besoins opérationnels de nos forces armées en comblant leurs déficits de capacités. Elle est également une dimension essentielle de l'intégration européenne, qui vient compléter une mosaïque dont les autres pièces maîtresses sont le marché unique et la monnaie commune. Elle complète les instruments déjà puissants de la politique extérieure de l'Union européenne. Ses implications scientifique, technologique et industrielle peuvent contribuer de manière significative à la réalisation des objectifs de Lisbonne, visant à doter l'Union de l'économie la plus compétitive du monde, sur base d'une société de la connaissance et du progrès technologique.
L'espace a un rôle unique à jouer dans la convergence de processus divers vers des buts communs. Il peut être à l'avant-garde de la fédération des efforts en vue de combiner de manière optimale des moyens dont l™utilité chevauche pratiquement tous les aspects de la vie des sociétés industrialisées(la sécurité dans toutes ses dimensions, l'économie, la science, les loisirs et la culture). L'industrie européenne de l'espace est au carrefour de la satisfaction de ces besoins.
Galileo et le projet de 'Global Monitoring for Environment and Security' (GMES) constituent des initiatives majeures pour le renforcement de l'Europe spatiale. Le Livre Vert sur l'Espace donnera une impulsion nouvelle à une véritable politique européenne de l'espace. Enfin, l'espace est un thème mobilisateur pour l'opinion publique, un moteur pour la poursuite de la construction européenne.
PESD et la politique européenne de l'espace doivent entretenir des liens étroits et opérationnels. Pour dynamiser cette interaction, il est nécessaire que le discours politique des dirigeants européens et des représentants élus dans chacun de nos pays articule une telle vision d'ensemble de manière plus claire.
A la lumière de ces considérations, l'initiative de ce colloque me paraît très opportune. Il faut féliciter le ministre de la défense, et mon ami, André Flahaut de l'avoir prise. Je vous souhaite plein succès dans vos travaux.