Centre Borschette - Bruxelles, 14 mars 2003
Depuis son lancement en 1998, le programme de recherche en sciences humaines et sociales de la Commission européenne - l'Action-clé Amélioration de la base socio-économique - a mis en place et coordonné en réseaux plus de 1800 équipes de recherche venant de 38 pays différents, dont l'ambition est d'aider les décideurs à apporter des solutions aux problèmes économiques, sociaux, politiques et culturels que connaissent nos sociétés.
Cette entreprise d'intégration de la recherche en sciences humaines et sociales - unique dans le monde - n'a pu être possible que grâce à un effort soutenu qui fut entrepris dès le 4ème PCRD (plus de 300 projets de recherche et réseaux thématiques européens ont été coordonnés et financés dans le cadre du Programme de Recherche Socio-Economique Finalisé ), qui a permis à la recherche en sciences humaines et sociales de dépasser la collection de monographies nationales dans laquelle elle restait trop souvent cantonnée, pour atteindre une réelle masse critique européenne de recherche.
Rompre avec la logique mono-disciplinaire (qui n'est pas propre aux sciences sociales, mais sur laquelle on bute tout particulièrement dans ce champ de la recherche) a conduit à mettre au point, à partir d'objets et de terrains différents et précisément circonscrits, des instruments théoriques et méthodologiques communs - des outils conceptuels, des corps d'hypothèses généralisables et transposables, des démarches communes - en vue de favoriser la confrontation et la cumulativité des recherches, qui sont les conditions sine qua non de l'efficacité du travail scientifique.
Intégrer les sciences humaines et sociales n'est pas une mince affaire: depuis leur naissance vers la fin du XIXe siècle, en effet, les sciences sociales sont très fortement marquées par leurs contextes nationaux d'émergence, qui semblent mener vers des traditions de réflexions théoriques et des orientations épistémologiques largement divergentes. L'universalisme scientifique, sur lequel il est, en principe, facile de s'accorder, semble trouver, dans ces cadres nationaux de construction et de représentation du monde social, des limites et des barrières d'autant plus difficiles à franchir, qu'elles sont profondément enracinées dans l'inconscient scholastique des communautés scientifiques respectives et dans les schèmes de pensée et de jugement savants qui les accompagnent.
Nous n'en sommes qu'au premier stade de l'intégration des SHS, et notre effort doit absolument être maintenu et renforcé à l'avenir.
Le nouveau Programme Cadre de Recherche et de Développement met à votre disposition des outils qui permettent de poursuivre ce processus d'intégration.
Tout d'abord, il donne aux SHS la place, essentielle, qui est la leur, en leur consacrant une priorité à part entière, dans un programme recentré sur 7 priorités de recherche. Ce programme, intitulé Citoyens et gouvernance dans une société de la connaissance , consacre à la recherche en sciences humaines et sociales un budget ambitieux: 225 millions d'Euros sont, en effet, consacrés à cette priorité, ce qui constitue une augmentation substantielle par rapport aux 165 millions qui avaient, dans le 5ème PCRD, étaient consacrés à l'Action -Clé Amélioration de la base de connaissances socio-économiques.
Au-delà des questions budgétaires, l'Espace européen de la recherche, que nous nous sommes engagés à faire émerger, offre à tous les acteurs de la recherche un cadre pour optimiser leurs efforts en surmontant les effets de leur fragmentation, du fait des frontières nationales. Il s'agit d'un espace dont l'ambition est d'attirer les meilleurs chercheurs du monde entier, et qui permettra à l'Europe de mettre son savoir au service de sa responsabilité internationale.
Le sixième Programme-Cadre a spécialement été conçu pour aider à réaliser cet espace. Il est donc plus et autre chose que le sixième programme d'une série.
Sans rien perdre de ce qui a fait le succès des cinq précédents, il ajoute une nouvelle dimension à la recherche communautaire.
Il permet, en effet, tout à la fois:
- de soutenir la recherche en Europe, et significativement, avec un budget de 17,5 milliards d'Euro;
- de mieux la structurer pour l'avenir, gage de plus d'excellence encore, à l'échelle du continent: les 15 Etats membres et tous les pays candidats à l'Union, pleinement associés et participant exactement au même titre.
Dans le domaine des sciences sociales, il faut en finir avec la séparation des disciplines économiques et socio-historiques. Pour ne prendre qu'un exemple parmi tant d'autres, l'économie et la sociologie étaient, à l'origine, dans un dialogue permanent, chez Marx, Durkheim ou Weber, mais aussi chez Pareto et Schumpeter. Elles ne se sont séparées que pour leur plus grand malheur, à l'une et à l'autre, la sociologie renonçant à prendre pour objet les questions économiques, l'économie oubliant son statut de science historique et s'autorisant, du même coup, à ignorer, au nom du droit à l'abstraction, tous les acquis des sciences sociales.
Rétablir le lien entre les différentes disciplines des SHS, avoir le souci permanent de resituer les monographies locales dans tout l'espace national et international, combiner les visions ethnologiques (voire ethnographiques) des particularités nationales et la dimension économique et sociologique des grandes structures internationales: telles sont les ambitions portées par l'émergence d'un espace européen de la recherche en sciences humaines et sociales.
Traduire la recherche en SHS en implications politiques:
L'Espace européen de la recherche que nous souhaitons contribuer à faire émerger est un espace où la science est mise au cœur de la cité et mobilise tous les acteurs, y compris les décideurs politiques.
La masse critique de recherche européenne en SHS que nous avons obtenu porte aujourd'hui ses fruits sur le plan politique. En effet, en dépit des difficultés que rencontre toute tentative d'établir un dialogue entre les chercheurs et les décideurs politiques, le programme de recherche en sciences humaines et sociales de la Commission européenne est aujourd'hui en train de réussir à les dépasser, grâce à la mise en place de nombreux outils de collaboration entre ces deux communautés.
Grâce à l'ensemble des efforts entrepris, on peut aujourd'hui dire qu'au niveau européen en tout cas, le temps où les chercheurs et les décideurs politiques s'ignoraient est révolu.
Je pourrais vous donner de nombreux exemples pour illustrer cette affirmation, mais étant donnée que cette question sera largement débattue par les intervenants à la table ronde sur les implications politiques de la recherche en SHS, j'en prendrai uniquement deux: les conférences-débats, et les activités de clustering.
Ces deux outils mis en place par le programme de recherche en sciences humaines et sociales, ont, parmi d'autres, contribué à renforcer le dialogue entre les chercheurs et les politiques, et je voudrais à présent en dire quelques mots:
Les conférences-débats, tout d'abord : initiées au début de l'année 2000, le but de ces conférences thématiques est d'améliorer la communication entre les chercheurs en sciences sociales, les décideurs politiques et administratifs, et les acteurs de terrain. La mise en place de cette plateforme permanente de communication a permis à ces différentes communautés d'entrer dans un dialogue animé et soutenu par la Commission européenne.
Ainsi, depuis quelques années, des thèmes aussi fondamentaux que l'impact du commerce mondial sur les nouveaux modes de gouvernance, le financement des systèmes d'innovation dans la recherche, la démocratisation de l'accès à l'enseignement ou encore la question cruciale du règlement des conflits dans certaines régions du monde, ont été abordés et débattus dans le cadre de ces conférences.
La recherche et les conférences-débats organisés sur les questions de gouvernance ont très fortement contribué aux travaux qui ont abouti à la publication du Livre Blanc sur la Gouvernance. Le Parlement européen s'inspire aujourd'hui des résultats de l'un de nos projets de recherche sur les causes de l'abstention aux élections européennes, pour tenter d'améliorer le système lors des prochaines élections . Dans un même souci de traduction politique des résultats de la recherche en SHS, l'ensemble des études que nous coordonnons sur l'innovation dans la recherche, la démocratisation de l'accès à l'enseignement ou encore la mise en œuvre, dans les Etats membres, du modèle des diplômes 3/5/8 tel qu'il a été défini à Bologne, sont autant de sources scientifiques d'inspiration pour la DG EAC, avec laquelle nous travaillons en collaboration très étroite. Ces recherches serviront également à nourrir la réflexion sur l'avenir des universités que nous menons actuellement avec cette DG, réflexion qui a donné lieu à une Communication de la Commission qui sera mise en débat avec les Etats Membres et l'ensemble des acteurs concernés d'ici peu.
Les chercheurs ont, bien entendu, activement participé à ces débats, mais aussi des responsables politiques, des représentants de syndicats, d'ONGs, etc.
Toujours tournés vers la traduction des résultats de la recherche en implications politiques, ces débats sont systématiquement ouverts aux Directions Générales politiques de la Commission européenne, quand ils ne sont pas organisés en totale collaboration avec elles, et aux représentants des Etats membres.
Les activités de clustering: Elles visent à établir des ponts solides et durables entre différents projets de recherche qui portent sur des questions connexes, afin de dépasser la fragmentation propre à leur organisation, et d'obtenir une masse critique susceptible d'être utilisée pour la formulation des politiques au niveau national comme au niveau européen .
Ainsi, le cluster européen EPUSE ( Employment Precarity, Unemployment and Social Exclusion ), par exemple, a démontré, sur la base d'une enquête quantitative et qualitative couvrant l'ensemble des pays de l'Union, que, contrairement à ce qui est souvent dit ici ou là par certains décideurs politiques, il n'existe aucune corrélation négative entre les systèmes généreux de protection financière des chômeurs et la motivation de ces derniers pour retrouver du travail. Sur la base d'une analyse longitudinale portant sur des chômeurs de tout âge dans tous les pays de l'Union, la recherche a, au contraire, montré que les chômeurs qui, du fait d'un faible système de protection sociale et financière de leur pays, tombent dans la pauvreté, ont beaucoup plus de mal à retrouver un emploi que ceux qui sont protégés par un système de prévoyance plus généreux.
Les systèmes à faible protection sociale et financière ou les systèmes à protection dégressive augmentent, en réalité, les chances d'exclusion sociale durable des chômeurs. L'ensemble de nos projets de recherche portant que les questions d'exclusion et d'inclusion sociale ont été amplement exploités par la DG Emploi et Affaires Sociales, qui s'en est très fortement inspirée pour adopter, il y a trois ans, le programme européen de lutte contre l'exclusion sociale.
Sur un tout autre domaine, le cluster sur les questions de migration/intégration, mis en place par le programme, vient contredire, sur la base de recherches menées sur tout le territoire européen, un certain nombre d'idées reçues: ainsi, et contrairement à ce que croit savoir le sens commun, ce cluster a montré que ce n'est pas la présence des populations migrantes qui crée une économie informelle, mais bien l'existence préalable d'une économie souterraine qui tend à attirer les migrants.
La qualité des projets représentés durant ces deux jours comme l'intensité des échanges entre les différents groupes de recherche augurent favorablement, et je m'en réjouis, de l'émergence future d'un Espace Européen de la Recherche en Sciences Humaines et Sociales.
DN: SPEECH/03/132 Date: 14/03/2003
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